1920 – 1939

ÉMOTIONS ET SUPERMARCHÉS !

 

Peu après la fin de la 1ère guerre mondiale et la séparation (définitive) des retailers et
des distributeurs, l’humeur est à l’explosion des sens. D’un côté, les distributeurs innovent sur
un nouveau format, le « supermarché », de l’autre, les retailers plongent dans l’amélioration
de l’ambiance de leur point de vente : l’expérience client devient émotionnelle.

 

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Super-supermarché

L’Europe est à feu et à sang ! Au sortir d’une première guerre mondiale meurtrière, les pays européens sont occupés à se reconstruire et l’économie américaine, portée par l’activité militaire et peu impactée par les pertes sur son sol, est en pleine croissance. Ainsi, dans le secteur de la distribution, la logique de gestion des flux se généralise, nourrie par les théories tayloriennes et les principes de la division du travail. Dans le cadre de ces avancées logistiques, Michael Cullen (1884–1936), ancien directeur régional de KrogerGrocery and Baking Co. s’approprie génialement la paternité du supermarché ; en effet, de son expérience, il ressort convaincu qu’il faut créer des magasins de 500 à 600m2 et abandonner l’implantion en centre-ville, peu pratique pour la circulation des automobiles et les délocaliser vers une périphérie ouverte aux parkings et facilitant la logique du libre-service sans livraison à domicile, ni crédit. Il finit par convaincre un ami grossiste alimentaire à Brooklyn, Harry Socoloff, et ouvre, le 4 août 1930 à New-York, son premier supermarché King Kullen dans un garage désaffecté. Succès immédiat pour ce théoricien de la distribution qui lègue à son ancien patron les grands principes du supermarché moderne.

Ses principes, ultra-rationnels, sont les suivants : 80% en moyenne de libre-service, un coût d’environ 30 000 dollars pour chaque magasin pour un CA hebdomadaire d’environ 2500 dollars en proposant 300 articles à prix coûtant, 200 articles avec une marge de 5%, 300 à 15% et 300 autres à 20%, là où les magasins à succursales margent en moyenne à 20% et les commerçants isolés à 40%. Le consommateur économise de ce fait 2 à 3 dollars par semaine, ce qui représente également un avantage concurrentiel et un discours marketing qui sera accompagné par une politique d’achat d’espaces publicitaires dans la presse locale. L’expérience client est désormais totalement autonome mais jouit d’une politique tarifaire porteuse qui attire les foules, notamment dans les milieux populaires. Le supermarché est né et va se développer ; en 1934, il en existe déjà 94, 1200 en 1936 et ce dans 95 villes ! Le leadership de la distribution vient de changer de continent et l’Europe, encore en ruines, préfère se concentrer sur le secteur du retail auquel il appose des concepts de plus en plus marketés. C’est la naissance de l’émotion en magasin…

Evidemment, le concept du supermarché ne tarde pas à franchir l’Atlantique et c’est le 1er décembre 1931 que s’ouvre, rue Caumartin à Paris, le premier Prisunic. Le concept est le même que celui de Cullen : un commerce populaire qui vend des produits de grandes séries à bas prix. C’est également à cette période, simultanément aux Etats-Unis et en France, que quelques pionniers lancent les bases d’un système d’association qui donnera naissance, par la suite, au concept de franchise. Prisunic fonctionne d’ailleurs presque sur ce modèle puisqu’un système d’affiliation est créé dans toute la France, permettant à des affiliés d’arborer le
nom de l’enseigne et d’utiliser les services de la centrale d’achat du groupe Printemps.

Muzak, Maestro !

Côté retail, le marketing sensoriel fait son apparition. En effet, une étude de Laird (1932) semble indiquer que l’odorisation d’un produit permettrait d’en obtenir de meilleures évaluations : premières traces de marketing olfactif ! En ce qui concerne la musique, en France, ce sont les cafetiers qui, les premiers, ont utilisé la radio pour animer leur commerce, suivis de près par Monoprix qui fut la première chaîne de maga- sins à diffuser de la musique d’ambiance enregistrée dès 1927 ! George Owen Squier, général américain, dépose un brevet sur la diffusion de musique d’ambiance dès 1922 et crée, en 1934, la société Muzak Inc. à partir des mots musique et Kodak, référence d’alors.

Il invente alors le concept d’ambiance sonore

 

Il invente alors le concept d’ambiance sonore destinée d’abord aux ascenseurs des gratte-ciels américains. L’utilisation d’un système d’amplification de la musique qui permet de faire « écouter le son à une puissance collective mais contrôlable » donne naissance à plusieurs sociétés spécialisées dans la production et la diffusion de fonds sonores à but commercial. Ainsi en 1937, la société américaine Muzak – ancêtre de MoodMedia – propose aux magasins, bureaux et ateliers, sa musique fonctionnelle censée accroître la productivité des travailleurs et éviter leur assoupissement, notamment après le déjeuner. L’expérience client prend alors une nouvelle tournure sensorielle basée sur l’émotionnel et le confort ; le consommateur se promène désormais dans un endroit « marketé » qui encourage l’acte d’achat. « L’argument » émotionnel s’empare également des vitrines ; lorsque la mode devient le principal produit d’appel, les étalagistes conçoivent de véritables mises en scène évoquant des situations réalistes avec des mannequins pour acteurs.

L’influence de la scène s’accroît dans les années 1930 quand de jeunes décorateurs de théâtre sans emploi cherchent à travailler pour la décoration des vitrines. En 1925, les Galeries Lafayette, pour la première fois, font de la vitrine un véritable théâtre pour présenter une crèche de Noël et la vitrine devient alors un nouveau levier de consommation par
l’intermédiaire d’un marketing visuel qui mise sur une expérience client directement offerte aux passants.

En magasin, elle évolue également ; en 1936, Sylvan N. Goldman et sa « Humpty Dumpty » conçoit un ancêtre du chariot de supermarché qui est pliable et qui permet aux clients de la chaîne de supermarché qu’il possède de faire davantage d’achats. Il permet de poser deux paniers, l’un au-dessus de l’autre, et brevette définitivement son invention en 1838. Faire ses courses ne devient plus qu’une simple obligation usuelle, mais une réelle expérience vécue comme un moment de détente, symbole s’il en est d’une logique capitaliste de plus en plus prégnante dans les sociétés des pays occidentaux.

 

Super-market’ 

Le supermarché et le marketing sensoriel se nourriront finalement l’un de l’autre pour grandir ensemble et modifier l’expérience client en point de vente avec pour objectif compatible de favoriser l’acte d’achat et d’y associer une meilleure rentabilité. Les années 20 et 30 sont donc marquées principalement par l’intégration de l’émotion dans le point de vente et l’éclosion rapide de ce nouveau format, à destination des classes populaires. Mais le marketing n’a pas dit son dernier mot et, quelques années plus tard, il saura se réinventer pour continuer à attirer les clients en point de vente…

1800 – 1899

L’ÂGE DE L’AUTONOMIE

 

Le 19ème siècle représente une première révolution dans l’historique de l’expérience client. Ainsi, avec l’apparition des grands magasins, le client acquiert une autonomie longtemps désirée et devient maître de son parcours d’achat, libre de vagabonder dans ces nouveaux vastes espaces commerciaux qui transforment radicalement leur expérience client.

 

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LES GRANDS MAGASINS, SYMBOLES D’UNE NOUVELLE VISION DU COMMERCE

C’est fin 18ème, début 19ème à Paris, qu’est inaugurée « Les Galeries de Bois », premières galeries commerciales qui ouvriront la voie à l’éclosion d’un format nouveau: les grands magasins. Du nord de l’Angleterre, à Derby plus précisément – « Bennett’s of Irongate » –, jusqu’à Paris – « Tapis Rouge » (1784), premier grand magasin de trois étages et de plusieurs immeubles ou encore « Trois quartiers » (1829), magasin de 27 000 m2 – en passant par l’Irlande du Nord – Austin’s (1832), – les puissances d’Europe de l’ouest créent une nouvelle façon de concevoir le commerce et ouvrent de nouvelles possibilités aussi bien pour les citadins que pour les commerçants.

Les grands magasins transforment radicalement l’expérience client en permettant soudain au client d’être autonome dans un magasin. Il peut toucher les vêtements et les objets qui sont dorénavant standardisés ; avec un prix unique, il n’a pas besoin du vendeur pour se renseigner et les modes de négociation n’existent plus : tout le monde est logé à la même enseigne !

De plus, le citadin est informé des nouveaux produits par la promotion (lancement des catalogues de vente à distances, démarrage de la publicité, invention des soldes, de la période des blancs…) : le client moderne est né et l’on découvre progressivement, en tâtonnant, les premières réflexions marketing. Le siècle voit se développer cette tendance séduisante, notamment par l’intermédiaire de Félix Potin qui ouvre son premier magasin en 1844 à Paris. Il inaugurera par la suite d’autres établissements sous la même enseigne vendant à prix fixés et affichés : c’est le début du succursalisme ; les marchandises sont préemballées dans des usines au lieu d’être reçues en vrac dans les boutiques et emballées sur place par les « épiciers ».

Ce principe est repris avec succès aux États-Unis, par Franklin Winfield Woolworth et son frère, en 1879, année d’ouverture de leur second magasin qui donne naissance à la chaîne de magasin Woolworths et développe au passage le concept de magasin populaire. Les « techniques » marketing commencent, elles aussi, à se dessiner sans être encore théorisées, grâce à A. Boucicaut et son « Bon Marché » (1852) parisien où sont lancées les premières étiquettes garantissant un prix unique à tous les clients ; le « Bon Marché » incarne véritablement cette révolution commerciale et offre un large choix de rayons sur une très grande surface.

 

« LES GRANDS MAGASINS TRANSFORMENT RADICALEMENT L’ÉXPERIENCE CLIENT. »

 

Les premières ventes par catalogue, tout comme l’entrée libre, les retours gratuits ou l’apparition des cabines d’essayages sont autant de nouveautés qui permettent aux retailers d’attirer les citadins dans des espaces qui sont conçus pour la consommation. En parallèle, vers la fin du 18ème, les premières vitrines modernes apparaissent à Londres, créées par Francis Place grâce à l’industrialisation de la vitre et la généralisation de l’électricité.

 

L’AUTONOMIE, VÉRITABLE RÉVOLUTION POUR L’EXPÉRIENCE CLIENT

Autre caractéristique des grands magasins : le spectacle !

Avec eux, le shopping devient un loisir. Dès le 18ème siècle, avec les galeries et les premiers bazars, les magasins instaurent un lien entre art et commerce et placent ainsi l’émotion comme vecteur principal de l’expérience client.

 

« COMMERCE MODERNE CAR COMMERCE AUTONOME. »

 

À travers les époques, et ce n’est on ne peut plus vrai aujourd’hui, l’émotion est intrinsèquement liée à la qualité de l’expérience client. Cela passe, au 18ème siècle, par la création des premières galeries commerciales. Au 19ème siècle, le mouvement s’amplifie avec l’avènement des grands magasins qui, avec leur taille, leurs choix de produits et l’innovation technologique de leur temps, l’électricité, ont réussi à bouleverser les clients et à poser les bases du commerce moderne.

Commerce moderne car commerce autonome donc ! Les clients / visiteurs peuvent se déplacer dans de vastes espaces commerciaux, choisir eux-mêmes leurs produits et les essayer. Les retailers rivalisent d’ingéniosité marketing en inventant
soldes (Simon Mannoury), catalogues et autres publicités, de manière à ce que le client n’ait plus qu’à se déplacer pour consommer.

Une autonomie amplifiée par ces nouveaux dispositifs qui favorisent la circulation de l’information en dehors des points de vente. Le commerce devient à ce moment-là un secteur pionnier dans le recours aux technologies ; le 19ème siècle est donc avant tout représentatif du développement exponentiel de la logique de choix et de sélection pour des clients potentiels qui n’en demandaient pas tant…

Et si l’autonomie me paraît aussi importante et qualifie prioritairement l’évolution de l’expérience client pendant près d’un siècle, c’est tout simplement parce qu’aujourd’hui encore, elle représente un enjeu de taille pour les points de vente. À l’époque, c’est donc le format du magasin qui permettait cette nouvelle autonomie ; aujourd’hui, c’est le digital – et l’innovation – qui offrent aux
retailers la possibilité de proposer des expériences clients 100% autonomes. Il n’y a qu’à voir le magasin (ultra) connecté de Rebecca Minkoff pour comprendre que ce critère est, à ce jour, en réel enjeu pour les retailers.

Miroirs connectés, cabines d’essayages interactives, la place du digital est prégnante dans de plus en plus de stores ; le client ne souhaite plus être « envahi » par la présence, souvent maladroite, d’un vendeur aux propositions commerciales parfois influencées par des enjeux économiques mais préfère plutôt se promener dans un point de vente librement et faire appel à de vrais spécialistes (ex : styliste) lorsqu’il en ressent le besoin.

 

RETOUR VERS LE FUTUR

À bien des égards donc, le 19ème a révolutionné l’expérience client en point de vente. S’il ne fallait retenir qu’une seule de ces « innovations », l’autonomie du client, évolution qui a traversé les âges pour (re)devenir capital aujourd’hui, demeure sans doute ce qui représente le mieux cette époque. Autonomie qui a par ailleurs déclenché, dès le début du 19ème , les premiers réflexes purement marketing pour attirer le client sur les lieux d’achat. Réflexes externe puisqu’ils avaient pour principal objectif d’attirer « du dehors au-dedans » mais ce n’est qu’à l’aube du 20ème que le marketing « in-store » prendra véritablement son envol.

 

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